Une famille au milieu du drame

Noureddine Benchekroun/Bureau de Marrakech
Voyant les images atroces du tremblement de terre survenu en Turquie/Syrie, je me suis rappelé que moi-même, je suis un rescapé sauvé miraculeusement du tremblement de terre d’Agadir il y’a 63 ans, je n’avais que 18 mois. Voilà mon histoire et celle de ma famille.
ALLAH YARHAME tous les victimes de ces drames.
Nous sommes le 29 Février 1960, début du mois sacré de Ramadan, il était presque minuit, tout était calme, soudain, la terre a tremblé, les constructions se sont effondrées, les routes goudronnées se sont fissurées, et en un laps de temps, la ville est devenue méconnue.
Des pleurs et des appels au secours émanaient de partout, c’était la panique généralisée.
Telle était la situation lors du tremblement de terre qui a frappé la ville d’Agadir, sans précédent dans l’histoire du Maroc.
Une secousse qui n’a duré que 12 secondes, avec une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter, mais qui était suffisante pour transformer la ville en un fantôme, on dirait que la terre l’a avalée.
On a recensé plus de 15.000 morts, et 25.000 blessés, dont la plupart étaient graves.
Ma mère, une rescapée de ce drame raconte:
Ce jour-là, et peu avant 17h, un brouillard brunâtre a couvert totalement le ciel, puis une tempête de sable s’est abattue sur toute la ville. Pour les habitants, c’était un phénomène habituel, surtout en pareil moment de changement de saison, nous n’étions pas loin de la fin de l’hiver.
Nous venions juste d’habiter Agadir, mon mari a pu décrocher un poste dans une Société Italienne spécialisée dans la recherche du pétrole. En attendant de nous installer, on a été logé par les beaux parents de mon beau-frère. Leur appartement était spacieux, c’était un logement de fonction dans l’immeuble de
» l’administration de l’enregistrement » situé à la « nouvelle ville ». Le père de cette famille était le directeur de la dite administration.
Cette nuit là, on a regagné nos lits avant 23h, il fallait se réveiller avant l’Aube pour le repas du « Shour », c’était le mois de Ramadan.
Comme d’habitude, je dormais à côté de mon fils encore bébé (18 mois), il m’arrive de me réveiller en pleine nuit pour l’allaiter.
Il régnait un calme total, mais qui était interrompu à certains moments par des aboiements inhabituels des chiens du quartier.
Soudain, j’ai sursauté de mon lit en entendant les appels incessants de mon mari et de son frère :
» réveillez vous, c’est l’apocalypse, nous allons périr dans quelques instants, et n’oubliez pas la » Chahada ».
Émue, immobilisée, je tenais fortement mon fils, j’étais au bout de la folie, surtout lorsque j’ai découvert que le mur qui nous séparait de l’extérieur s’est écroulé et on s’est trouvé sur les bords d’un grand fossé. Autrement dit, un tout petit mouvement du bébé l’aurait éjecté du 5ème étage.
Tout à coup, j’ai senti qu’une force essaya vainement de m’arracher l’enfant, c’était mon mari. Il me l’a pris, et m’a poussé vers l’autre chambre, à moitié détruite, c’était là que j’ai appris qu’ils ont décidé de sauver mon fils en le faisant descendre chez notre voisin Français qui habitait au rez-de-chaussée. Il a fallu ficeler plusieurs draps, y envelopper le bébé, constituer une sorte de corde.
L’opération a réussi, notre voisin a attrapé l’enfant, et mon beau-frère n’a cessé de crier de toutes ses forces pour se faire entendre et transmettre les consignes au Monsieur afin de remettre le petit à son oncle à Marrakech.
Nous étions sûrs de notre péril.
Je n’ai jamais oublié la tenacité et la bravoure de ce grand Monsieur. Il n’a pas hésité à nous aider alors qu’il venait juste de perdre sa femme et ses quatre enfants sous les décombres, seul lui et son chien ont pu être sauvés.
Accroupie dans un petit coin, j’ai commencé à réaliser ce qui se passait autour de moi. Je contemplais les visages des membres de la famille, ils étaient tous réunis dans cette chambre attendant leur sort et psalmodiant des versets du Coran.
A ma grande surprise, on m’annonça la mort de « Dada », la servante, et de leur jeune fils ( encore adolescent), les sols de leurs chambres respectives se sont effondrés et ils ont péri sous les décombres. Quant à la femme de mon beau-frère, on ne sait de quelle façon elle a été emportée jusqu’au sous-sol, elle y restée coincée sous le poids d’un rideau.
Dans un instant d’accalmie, nous avons réalisé qu’il s’agissait d’un tremblement de terre et nous nous sommes précipités sur les gravats entassés essayant de retrouver le » sentier » qui pourrait nous amener en bas du bâtiment. C’était le noir total, sauf les brèves lueurs qui disparaissaient aussitôt, une faible lumière intermittente produite par des allumettes tenues par mon mari.
Nous sommes arrivés à destination, mais dans un état déplorable.
Certains d’entre nous étaient gravement blessés, en plus, on avait très froid, on ne portait que des pyjamas.
Outre, nos papiers et nos biens sont restés sous les décombres. Je me rappelle que mon mari venait juste de recevoir son salaire mensuel, ce dernier est resté dans la poche de sa veste.
De suite, j’ai récupéré mon fils de chez notre voisin qui s’apprêtait à démarrer sa voiture.
Ainsi, un autre épisode de ce feuilleton dramatique allait commencer:
Nous sommes restés coincés devant l’immeuble, on avait très soif, les gens des alentours commencèrent à affluer, il se racontèrent leurs aventures, certains, avaient encore l’espoir de retrouver des disparus parmi les gens de ce groupement humain totalement perdu.
Les ambulances commencèrent à sillonner les alentours en priorisant les cas graves.
Des militaires et des gendarmes se sont intervenus pour nous tranquilliser, mettre de l’ordre et assurer notre transport aux camps où se dressaient plusieurs tentes spécialement aménagées pour recevoir les rescapés.
Dans les camps, mon mari et son frère n’ont cessé de chercher de l’eau, la part reçue dès notre arrivée était en deçà de nos besoins. On avait très soif, la peur et l’angoisse nous ont mis dans cet état.
Le lendemain, et à notre grande surprise, on a été visité par Feu Mohamed V. Je me rappelle, il était vêtu d’un » Djellaba » de couleur sombre et il portait des lunettes noires. Il saluait tout le monde, et ne cessait de répéter avec un ton ordonnateur: « Distribuez le lait pour les nourrissons en premier ».
Après beaucoup d’efforts, mon beau-frère a pu accompagner une équipe de sauveteurs pour sortir sa femme restée coincée sous les décombres du sous-sol. Elle a été transportée à Casablanca et amputée de son bras droit.
Notre séjour dans les camps n’a pas duré, un avion militaire nous a embarqué vers Marrakech. Je ne me souviens d’aucun événement pendant le trajet de ce voyage, j’étais évanouie, en voyant ces nombreux blessés graves pleins de sang, et qui avaient été transportés sur le même vol. j’ai ouvert les yeux dans un lit à l’hôpital » Mamounia ».
Plus tard, mon mari m’a raconté que la famille à Marrakech, avait perdu tout espoir de nous retrouver vivants.
Je suis resté plusieurs jours à l’hôpital, mon état était déplorable, à chaque fois que j’essayais de me tenir debout, je m’imagine que les murs de la chambre allaient s’écrouler.
J’ai mis beaucoup de temps pour sortir de cet état.
Nous avons tout perdu à Agadir, et nous sommes retournés à Marrakech en remettant le chrono à zéro. Il a fallu repenser la construction d’une autre vie .Mon mari était obligé de reprendre son métier d’origine en tant que photographe ( Studio Nil au quartier Mouassine, très connu par les habitants de Marrakech pendant les années soixante).
Après, nous avons appris que plusieurs gens s’étaient enrichis de cette situation désastreuse par l’utilisation de moyens illicites et frauduleux…..?
Fin de citation des paroles de ma mère.
J’ai voulu partager avec vous cette histoire réelle, telle racontée par ma mère, et confirmée par mon père ( Rahimahou ALLAH) , car le bébé qui a été miraculeusement sauvé, c’était moi, j’étais le premier enfant de ce couple qui a tout perdu dès les premières années de leur mariage, mais qui s’est forgé pour reconstruire une nouvelle vie.
Que les Âmes de tous les victimes reposent en paix.