Mon voyage au Soudan

Noureddine Benchekroun/Bureau de Marrakech
En suivant les informations des derniers événements de la guerre au Soudan, je me suis rappelé de mon voyage effectué dans ce pays en Mai 2005.
En effet, j’étais mandaté par le syndicat pour le représenter au congrès des syndicats des banques Arabes qui s’est tenu à Khartoum à cette période.
Au début, j’avais hésité avant d’accepter cette mission, car la situation dans ce pays n’encourage guère un tel déplacement.
La guerre faisait rage au Darfour et le Soudan était sous sanction internationale.
Étonnés, mes collègues à la banque et mes camarades au bureau syndical avaient juste conclu ( avec un ton rigolo) que c’était une occasion pour le bureau central de se débarrasser de cet opposant intransigeant que j’étais.
Bref, après avoir pris les vaccins obligatoires pour ce genre de voyage, me voilà au Caire pour une escale de deux jours, une occasion pour faire du tourisme et joindre l’utile à l’agréable.
Après, et en compagnie de la délégation égyptienne ( assez nombreuse) on a pris l’avion ( Air Egypte) à destination de Khartoum, on y était à 3 heures du matin.
Mais il a fallu attendre plus d’une heure avant qu’on soit autorisé à quitter l’avion, le temps de l’arrivée d’une délégation ministérielle et des responsables du syndicat soudanais.
J’ai tout suite compris que le syndicat et le gouvernement portaient tous les deux la même casquette, donc il fallait mesurer chaque mot prononcé et oublier le ton du syndicaliste auquel je m’étais habitué.
Surpris de cet accueil officiel diplomatique et à cette heure ci, j’étais un peu gêné par mon habillement de simple touriste et je me retenais pour contrôler mes gestes, surtout que la cérémonie était télévisée en détail et transmise à la télévision officielle.
Après un accueil des plus chaleureux à la descente de l’avion, on a été invité à une
pause-café servi à la soudanaise, une occasion pour nous présenter et faire connaissance. J’étais le seul Marocain à la cérémonie, et il a fallu me remémorer tout mon lexique arabe et oublier le dialecte et le français pour se faire comprendre.
Comme je l’avais deviné, nos discussions n’avaient aucun rapport avec le travail syndical ni avec les banques, c’était plus une phase de préparation pour les futures rencontres à caractère politique et de propagande pour l’affaire de Darfour.
Les travaux du congrès se tenaient à l’hôtel où nous étions logés.
L’ordre du jour était très chargé, surtout qu’il fallait discuter plusieurs points restés en suspens depuis les dernières rencontres. Des points concernant les droits du travailleur banquier dans le monde Arabe et les défis de la profession face à la mondialisation.
Un ordre du jour survolé par manque de temps, car les organisateurs nous avaient programmé des visites à plusieurs projets déjà achevés ou en cours de réalisation.
Nos déplacements étaient escortés, dans des voitures diplomatiques luxueuses.
Je me rappelle de la visite du méga projet
usine du Sucre, nous y avons passé plus d’une demie journée, une visite achevée par une exposition ( en diapositives) sur la région de Darfour et une explication du problème selon la thèse du gouvernement.
En effet, et selon cette thèse, il ne s’agit que d’un différend local entre des bergers et les propriétaires des terres. Un problème que le gouvernement tente de régler et refuse toute ingérence étrangère.
Et comme de mon accoutumée, je ne me contente jamais du discours officiel, dès mon retour à l’hôtel, j’ai contacté » Abdou » le
portier chargé de nous servir, il était étudiant universitaire, chrétien,du sud du pays, et avec qui j’entame des discussions interminables. Je le taquinais souvent, en lui demandant comment se fait il qu’il porte un nom musulman, alors qu’il ne l’était pas, il rigolait sans prononcer un mot. C’était à moi de déduire la réponse, une réponse confirmée six ans après ce voyage par la création du nouvel État » Soudan-sud »
Revenons au problème de Darfour pour dire qu’ Abdou m’a détaillé la situation en vrai sur le terrain, me disant que c’est la plus désastreuse crise humanitaire de l’histoire moderne.
En effet, délaissée et marginalisée par le gouvernement soudanais, une rébellion s’est constituée à Darfour exigeant un partage plus équitable du pouvoir et des richesses. Peu de temps après, le mouvement pour la justice et l’égalité et l’Armée de libération du Soudan ont annoncé le contrôle d’une ville stratégique dans cette » Wilaya » riche en forêts, avec un climat favorable aux arbres fruitiers, et on estime des réserve pétrolières de plus de 7 milliards de barils.
De suite, les forces gouvernementales et une milice connue sous le nom des « Janjaweed » se sont déplacées pour réprimer la rébellion, avec des campagnes de nettoyage ethnique contre les civils.
Certes, et comme annoncé par le gouvernement, la raison principale du déclenchement de la guerre est le conflit qui a éclaté entre les bergers et les propriétaires des terres, mais plusieurs témoignages des habitants de la région ont confirmé que le régime a intensifié une vague de discrimination entre les Arabes soudanais et les Africains. D’ailleurs une campagne de protestations internationales s’est élevée contre la discrimination raciale au Soudan.
Aujourd’hui, dix-huit ans après ce voyage, et quatre ans après la chute du régime
» Al bachir », les militaires en place continuent à se battre pour le pouvoir, des tensions qui pourraient amener ce vaste et riche pays à plus de divisions.
Marrakech le 28/04/2023