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 » ADDAR LAKBIRA »

Noureddine Benchekroun/Bureau de Marrakech

Né à Marrakech fin des années cinquante, Hassan a passé presque la quasi totalité de son enfance dans la maison de son grand père à Derb Zaari
 » Quartier Kennaria ».
Cet homme, aujourd’hui sexagénaire, n’arrive pas à se débarrasser de ce sentiment de désolation qui le domine chaque fois qu’il se trouve dans les environs de ce quartier.
En effet, et dès qu’il s’approche du « Café France » à Jamâa El fena, il est envahi par une sensation irrésistible, perd le contrôle de ses pieds, et s’engage involontairement à la redécouverte de ces lieux nostalgiques de son enfance.

Son périple commence par la  » Rue des Banques », c’est le début même du quartier  » Kennaria « , un petit boulevard, qui autrefois, renfermait des boutiques spécialisées dans la réparation des postes de radio et de télévision. Il se rappelle de ces visages d’antan, presque tous disparus, leurs magasins  » sorte de petits ateliers « , étaient tous de la même architecture, placés sur deux rangées parallèles jusqu’au croisement de la fontaine ( Sekkaya). C’etait un endroit moderne, propre, incomparable à son état actuel.
Aujourd’hui, ces boutiques abritent des commerces de toute sorte, des marchandises mal rangées, et occupent même le trottoir, une anarchie semblable à un souk hebdomadaire de compagne.

Continuant son chemin, il se trouve devant « Derb Zaari « , une ruelle étroite, les maisons s’étendent des deux côtés jusqu’à  » Dar Al Basra » une sorte de demeure pour les SDF Aveugles. La maison du grand-père avoisinait cet Établissement.
C’était, un Riad, avec une vaste cour, une fontaine au milieu ( style andalou), dont le jet d’eau émet un son bien rythmé on dirait une symphonie musicale.
En plus de la grande cuisine, il y’avait deux salons d’hôtes et une chambre de  » séjour », utilisée comme salle à manger et de reunion de la famille le soir, équipée spécialement d’un poste de radio, indispensable pour le grand père qui suivait régulièrement les informations et d’une télévision (blanc et noir bien sûr). L’étage supérieur renfermait les chambres à coucher et leurs annexes.
La terrasse était surmontée par une petite surface non clôturée  » Stiha », on y accédait par l’utilisation d’une échelle en bois.

De là, on pouvait voir toute la place Jamaa El Fna, on arrivait même à entendre les sons émanant des  » Halkas », et on parvenait à distinguer les rythmes musicaux  » Gnaoui « , » Aissaoui »
 » Houari  » et autres. Parfois ces voix s’affaiblissaient et se laissaient dominer par le bruit des klaxons des autocars intervilles stationnés à cette place. C’était avant la construction de la gare routière de Bab Doukkala.
A la direction opposée à cette belle vue, on distinguait les terrasses des maisons du quartier
 » Kennaria « , entre autre, celle du Cinema  » Eden ».

Comme tous les enfants de son « Derb », Hassan était un habitué à cette salle de cinéma, il aimait tant les films « Cow Boy ».
Il se rappelle que « Eden » était la première à présenter le film de Abdelhalim Hafid  » Mon père est sur l’arbre » ( Abi fawka chajara), un film contesté par les milieux conservateurs à l’époque, en effet, certaines scènes ont transgressé les coutumes et les tabous de la société.

Toujours immobilisé à l’entrée du  » Derb », envahi par une tristesse et un profond regret, Hassan commence à se poser des questions sur les vrais motifs du départ de ces nombreuses familles et de la sienne pour d’autres quartiers dits
 » modernes »…..

* Pourquoi ce trésor légendaire a été cédé par les héritiers après la mort du grand-père…..?

* Quelle a été la plus-value réelle pour chacun de ces héritiers qui l’a poussé à renoncer à un tel édifice dont chaque mètre carré raconte toute l’histoire d’une civilisation et se porte témoin du savoir faire des bâtisseurs qui n’étaient guère de simples maçons, mais des artistes qui ont excellé pour dessiner ce beau tableau….?

* N’était-ce pas la cupidité excessive qui nous a poussé à commettre de telles erreurs impardonnables et quitter notre originalité et nos grandes demeures pour s’enkyster dans des appartements parfois dressés sur les hauteurs d’un bâtiment, et comme disaient les Marrakchis
 » pendus comme les petits de la cigogne »….?

Rongé par ce chagrin, exorcisé même par un sentiment de révolte contre cette politique d’ouverture exagérée qui a permis à ces étrangers de s’accaparer de ces lieux au nom de « l’encouragement de l’investissement touristique ».
Hassan avance à petits pas et se retrouve devant l’endroit de « Sekkaya », une fontaine qui était source d’eau pour toutes les boutiques avoisinantes et même pour les maisons non encore dotées de robinets. Cet endroit est maintenant une petite décharge des poubelles ménagères.
Se rappelant de l’histoire de ce lieu, il a laissé couler une larme avant de continuer son chemin en empruntant la rue des  » Écrivains publics » comme on l’appelait autrefois.
Aujourd’hui, les boutiques faisant ce travail se sont multipliés. Entre-temps, il n’a pas oublié
 » Si l’Houssein », premier Écrivain public installé dans ce quartier et ce, depuis les années soixante, sa boutique était en face de la mosquée.
A côté de cette dernière, le  » Farrane », une sorte de four traditionnel, où affluaient tous les enfants du quartier avec leurs  » Ousslas » sur leurs petites têtes.
Ces enfants étaient toujours prêts à faire les courses à tout habitant du quartier.Ils n’exigeaient pas de contre partie, c’était une éducation transmise de père en fils, une façon de vivre en communauté. Il n’yavait de frontières entre le
 » Derb » et chez-soi.

Près de ce  » Farrane », se trouvait une petite boutique, celle des  » Dkakias de BABA « , une troupe jouant la  » Dakka Marrakchia ».
Ses membres étaient assez nombreux, et ils étaient obligés de dresser un tapis roseau sur le trottoir public pour faire asseoir toute la clique. C’était dans cet endroit qu’ils s’organisaient, discutaient de leurs problèmes, et parfois même, ils faisaient des répétitions.
Hassan visitait souvent cette boutique pour retrouver un grand ami de la famille Si Mahdi
 » Hmimsa », un homme de confiance et de caractère, en plus de sa distinction humoristique et blagueuse à l’instar de la plupart des  » Dkakias ».
Il était le bras droit du grand-père, il l’aidait à gérer cette grande maison, une sorte de « Zaouia » qui ouvrait ses portes à toutes les manifestations et célébrations de la grande famille. Sans compter ces groupes d’invités qui affluaient massivement tous les Week-end chez les oncles qui étaient membres du staff dirigeant du club local ( KACM).

fatigué, Hassan pense quitter les lieux, mais il est attiré par un endroit très familier. Il reste coincé un bon moment devant un  » Kissaria » renfermant une dizaine de boutiques. Là, c’était l’endroit
de son cinéma préféré  » Ghazala », d’ailleurs, il l’était pour tous les enfants du quartier, son prix ne dépassait guère 17  » rials », la séance comptait deux films, dont la plupart « Cow Boy  » ou
 » Hindous ». Mais pour y entrer, il fallait se bousculer pour garantir une place loin des poutres localisées « bêtement » au milieu de la salle et cachaient par conséquent plus de la moitié de l’écran. C’était rigolo, amusant, on aimait beaucoup cette vie et ces lieux.
Maintenant, on y revient pour une cure de rappel de cette belle période, une nostalgie du temps et de l’espace.

En face de ce  » Cinéma  » devenu  » Kissaria », Hassan chercher une boutique qui lui était très familière , elle était spécialisée dans la confection des tenues militaires.Très célèbre chez les militaires et les agents d’autorités. Il ne s’est pas trompé du lieu, car la dite boutique de renommé abrite maintenant un modeste commerce d’articles pour femmes.

Épuisé et ne pouvant plus continuer son chemin, Hassan a pris place dans une petite pâtisserie pour reprendre son souffle et retrouver un peu de tranquillité après ce marasme psychologique.
Soudain, un événement a attiré son intention : un homme septagenere conduisant un vélo en répétant à haute voix  » Balake…..Balake… » essayant de dégager le chemin pour passer. Hassan s’est rassuré qu’il n’était pas le seul de cette génération en  » cours d’extinction « . Voilà un archétype ( l’homme à vélo) qui parle toujours la langue d’antan le  » Balake » incompréhensible chez cette génération qui ignore totalement l’histoire de la grande maison  » ADDAR LAKBIRA ».

 

Marrakech le 15/01/2023

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