La cravate grise d’un banquier

Noureddine Benchekroun/Bureau de Marrakech
Recruté par une banque de la place, Hassan, se prépare pour entamer son premier jour dans cet établissement.
Habillé en costume, son père lui a offert une cravate grise « style années 50″, en lui conseillant de faire attention à ce beau cadeau, car il incarne toute l’histoire de son premier métier de photographe.
En effet, le père, lui raconte, qu’encore jeune, il a été grondé par son patron » Espagnol » pour ne pas prêter attention à la façon de nouer convenablement une cravate. Pour cela, il avait acheté une « grise » pour s’entraîner à ce fameux nœud, il était obligé car son métier exigeait la belle tenue.
Hassan prend le Bus pour se rendre au travail, un peu gêné par ce nouveau style d’habillement, lui, qui n’était habitué qu’au jeans et aux espadrilles, barbu, toujours mal coiffé, rêvant de changer le pays avec les idées de la gauche de l’époque.
Le voilà aujourd’hui, résigné comme Monsieur tout le monde, cravaté, bien rasé, faisant attention à son nouveau et premier costume, après sa descente du bus, il se précipite pour ne pas être en retard.
A quelques mètres du lieu de travail, il s’arrête, et se demande vraiment s’il n’a pas pris la mauvaise décision, lui qui souhaitait toujours être enseignant, métier qu’il a toujours aimé, parce qu’il incarne une certaine liberté et un contact permanent avec les nouvelles générations pour transmettre les idées de » jeune révolutionnaire » aspirant pour un Maroc où règne démocratie et droit de l’homme.
Tout cet iceberg d’espoir, se trouve maintenant fondu, il n’est pas loin de la banque, et il va commencer une carrière pour servir le symbole du capitalisme dans ce pays…….comment oserait il être exploité par un système qu’il avait toujours détesté….?
Revenant à lui même, il se rappele qu’il porte la cravate grise de son père, et s’imagine son visage entrain de lui donner conseils pour la bonne attitude et le respect de la hiérarchie, en concluant que la situation n’est pas favorable pour rater une opportunité tel le travail à la banque.
En effet, la crise économique que connaît le pays avec un chômage qui bat les records, t’oblige à accepter la première occasion qui se présente.
Maintenant il est banquier, avec un nouveau look, on dirait une crysalide qui a mué pour devenir papillon, avec la différence que ce dernier est né pour errer en toute aisance, incarnant la liberté dans son vrai sens, alors que Hassan se trouve emprisonné dans un local » professionnel » pour plus de 10 heures/jour.
Les jours se suivent et se ressemblent, la routine, la pression de réalisation des objectifs, et le risque d’erreurs sont des caractères intrinsèques à sa nouvelle vie.
Hassan s’engouffre dans ce labyrinthe, regrettant toujours d’y mettre le pied.
Pour apaiser ce sentiment de détresse, il adhère au syndicat et en peu de temps, il devient responsable régional, ce qui lui a permis de comprendre plus en détail les rouages d’entente de cette coalition hermétiquement fermée constituée d’un syndicat dit » Apolitique » et d’un patronat assez puissant dont les tentacules se prolongent jusqu’aux pouvoirs de l’État.
De plus en plus sollicité par le bureau syndical et par le personnel pour régler des problèmes qui ne finissent guère, Hassan est toujours franc et intransigeant quant à ses principes, il ne cesse de critiquer les démarches suivies par le syndicat, chose qui ne plaisait pas à la centrale.
Éloigné comme tout » brouilleur » ne voulant pas s’aligner fidèlement aux lignes tracées, Hassan passe ses dernières années avant sa retraite en spectateur d’une situation où le délégué syndical est devenu comme un facteur de poste qui ne fait que transmettre les lettres.
Ainsi, la cravate, signe de » bourgeoisie » , de richesse, et de distinction sociale est devenue pour Hassan une sorte de » cravache » à la main du patronat, soutenu » en crypté » par le soi-disant « partenaire social » pour fouetter à tout instant cet » esclave à col blanc » à l’occasion de chaque riposte ou désobéissance.
A la veille de sa retraite, il a mis sa cravate grise parentale, et en remémorisant tout son périple professionnel, il conclu, qu’effectivement la couleur grise était un symbole de ce long chemin imprévisible, à haut risque, mais d’une richesse professionnelle inégalée. Et, puisque qu’elle a été offerte par son père (Rahimahou ALLAH), cette cravate « Baraka » lui a peut être épargné plusieurs malheurs.
Marrakech le 09/01/2023